Source: Jeune Afrique (Sept 2021)
En raison du changement climatique et de la pollution, des quartiers et des villes entières du continent sont voués à disparaître. Une nouvelle vision de l’urbanisme africain est nécessaire.
Sebha va disparaître. La capitale du Fezzan libyen, riche en hydrocarbure, était pourtant devenue la plus grande agglomération du Sahara. Pendant des années, elle a vu converger des capitaux publics et privés, et des migrants par milliers. Soumise à une très forte pression démographique, la cité des sables est aujourd’hui condamnée. Tôt ou tard, l’absence d’eau la videra de ses habitants. Il faudra rendre son territoire à la nature.
Sebha n’est pas un cas isolé. Partout, des quartiers et des villes sont promis à la disparition. Ici, du fait de la montée des eaux, là, de la désertification galopante, des méga-feux, ou encore des cyclones à répétition. Ce sont les conséquences dévastatrices et inédites du changement climatique, bien sûr, que le dernier rapport du GIEC vient de rappeler, mais pas seulement. En participant à des systèmes de production toxiques, nous avons dégradé la nature et les climats. Parallèlement, nous avons, depuis l’ère industrielle, massivement adhéré à ce fantasme fou de la ville sans limite, capable d’absorber toujours plus d’habitants, sans s’interroger sur sa capacité à répondre à leurs besoins fondamentaux.
Urgence absolue
Regardez Los Angeles : cela fait bien longtemps que la première agglomération de Californie n’a plus assez de ressources en eau. Elle la fait venir de la Sierra Nevada, à près de 600 km. Même dans une des régions les plus riches du monde, cette infrastructure, qui se moque des frontières et des distances, s’essouffle. Los Angeles souffre de coupures d’eau depuis deux décennies ; un problème en décalage avec le niveau de vie de ses habitants.
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Dans les pays riches, le système se lézarde plus rapidement qu’on ne le pensait. En Afrique, c’est l’urgence absolue. Il s’agit du dernier continent à s’urbaniser, et celui qui le fait le plus vite, sans structure étatique capable de financer les infrastructures que cela suppose. Entre taux de natalité élevé et exode rural, c’est en Afrique que se trouvent 86 des 100 villes aux croissances les plus élevées du monde. Au moins 79 d’entre elles – dont 15 capitales ! – sont confrontées à des risques extrêmes dus au changement climatique.
L’enfer urbain
Les 13,2 millions d’habitants de Kinshasa, la capitale de la RDC, sont déjà régulièrement victimes d’inondations. Ils seront deux fois plus en 2035. En Éthiopie, le nombre de citadins passera de 24 à 74 millions dans les trois prochaines décennies. La population urbaine égyptienne atteindra alors les 85 millions d’habitants, contre 43 millions aujourd’hui. Au point de pousser les autorités à créer une nouvelle capitale pour soulager l’enfer urbain du Caire.
Comment fournir à un rythme aussi soutenu logements et équipements, routes et transports, eau potable et assainissement ? C’est impossible. Les tensions pour l’accès à l’eau, à l’énergie ou aux télécommunications vont aller en s’exacerbant à mesure que les villes continueront à avoir des besoins qui dépassent leurs capacités de production territoriales. Les conflits sont inévitables. Nous courrons au désastre.
La réflexion doit s’inverser, pour retrouver un équilibre entre population, ressources et territoire
À moins de changer radicalement notre façon de construire le monde. En Afrique comme ailleurs, cela veut dire d’abord en finir avec l’illusion de la ville sans limite. Certaines, comme Sebha, devront être abandonnées à la nature, et il faudra en construire de nouvelles, par milliers. Mais la réflexion doit s’inverser, pour retrouver un équilibre entre populations, ressources et territoires. La nouvelle ville doit être dimensionnée, limitée par ses propres ressources : si tel territoire peut fournir de l’eau et de l’énergie pour 50 000 personnes, alors la future ville ne doit pas dépasser cette taille.
Réapprendre à être nomade
Pour ce faire, nous devons renouer avec les infrastructures visibles d’autrefois, qui faisaient partie du paysage, appelant ainsi à une gouvernance collective. C’était le cas des aqueducs romains, mais aussi des bassins de l’Agdal, qui intégraient l’agriculture urbaine, ou encore des puits situés dans chaque quartier, comme encore aujourd’hui à Venise. On s’y essaye aujourd’hui au Maroc, avec la création de la ville de Mazagan, près d’El-Jadida, dont on sait déjà qu’elle ne devrait pas abriter plus de 200 000 habitants.
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Les conséquences du changement climatique, la pression démographique et l’urbanisation galopante ne nous laissent pas le choix : l’Afrique doit être le théâtre de la réinvention de la ville au XXIe siècle. Et pour cela, il est urgent qu’elle redevienne un laboratoire d’expérimentation architecturale et urbaine, avec d’autant plus de légitimité que ce ne sera plus, comme dans le passé, un laboratoire colonial.
Si l’Afrique continue à plaquer des modèles d’urbanisme pensés ailleurs, sans dimension critique, elle va au chaos
Il faut au contraire convoquer ce que l’Afrique est capable de proposer au monde, à travers des modes d’organisation, une gestion traditionnelle des ressources ou encore l’usage de matériaux tombés dans l’oubli. Ce genre d’expérimentations est par exemple la raison d’être du Pavillon du Maroc de l’Exposition universelle de Dubaï 2020. Élaboré en terre crue, le bâtiment culmine à 34 mètres, une hauteur inédite. Plus durable que le béton, la terre crue, matériau africain par excellence, permet aussi de se passer en grande partie de climatisation dans un des lieux les plus chauds de la terre.
Si l’Afrique continue à plaquer des modèles d’urbanisme pensés ailleurs, sans dimension critique, elle va au chaos. Il faut, sur ce terrain aussi, décoloniser la pensée, et imaginer des organisations collectives qui vont nous permettre de nous adapter aux grands déplacements que nous impose déjà le changement climatique. C’est en Afrique que nous pouvons réapprendre à être des nomades, pour ne pas devenir des réfugiés.
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